DAVID GRAEBER
Bureaucratie
"Une critique de la bureaucratie adaptée à notre époque doit montrer que tous les fils conducteurs — la financiarisation, la violence, la technologie, la fusion du public et du privé -convergent pour former un réseau unique qui s'auto-alimente."
"La matraque du policier est le point de jonction précis entre l'impératif bureaucratique qu'a l'État d'imposer des schémas administratifs simples et son monopole de la force coercitive. Il est donc tout à fait compréhensible que la violence bureaucratique soit faite, d'abord et avant tout, d'agressions contre ceux qui persistent à défendre d'autres schémas ou des interprétations différentes. En même temps, si l'on accepte la célèbre définition que donne Jean Piaget de l'intelligence parvenue à maturité, l'aptitude à coordonner de multiples perspectives (ou perspectives possibles), on peut voir ici avec précision comment le pouvoir bureaucratique, au moment où il recourt à la violence, devient littéralement une forme de stupidité infantile."
"Il semble que, chaque fois que la gauche décide de jouer la sécurité et de suivre un cap "réaliste", elle ne fait que s'enfoncer un peu plus."
"Récapitulons la thèse que j'ai avancée jusqu'ici : les procédures bureaucratiques, qui ont l'étrange capacité d'amener même les esprits les plus fins à se conduire en imbéciles, sont moins des formes de stupidité en elles-mêmes que des moyens le faire face à des situations déjà stupides parce qu'elles dérivent d'une violence structurelle. Ces procédures finissent donc par participer de l'aveuglement et de la bêtise qu'elles cherchent à gérer. Dans le meilleur des cas, elles deviennent des moyens de retourner la stupidité contre elle-même, un peu comme on pourrait le dire de la violence révolutionnaire. Mais la stupidité au nom de l'équité et de la décence reste de la stupidité, et la violence au nom de la libération humaine, de la violence. Ce n'est pas par coïncidence que les deux semblent si souvent s'accompagner."
"Ce que « le public », « la main-d'œuvre », « le corps électoral », «les consommateurs » et «la population» ont en commun, c'est de devoir leur existence à des cadres d'action institutionnalisés qui sont intrinsèquement bureaucratiques, donc profondément aliénants. Les isoloirs, les écrans de télévision, les box des bureaux, les hôpitaux, le rituel qui les entoure, tout cela constitue, pourrait-on dire, les ressorts de la machine «aliénation». Ce sont les instruments qui servent à écraser et fracasser l'imagination humaine. "